Paysage de l'emploi au Maroc. Recenser les obstacles à un marché du travail inclusif - PDF Flipbook

Paysage de l'emploi au Maroc. Recenser les obstacles à un marché du travail inclusif

130 Views
44 Downloads
PDF 905,140 Bytes

Download as PDF

REPORT DMCA


1

PLEINS FEUX SUR LE DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL

Le secteur de l’emploi au Maroc Recenser les obstacles à un marché du travail inclusif

2

© 2021 Banque internationale pour la reconstruction et le développement / Banque mondiale 1818 H Street NW, Washington, DC 20433 Telephone: 202-473-1000; Internet : www.worldbank.org Certains droits réservés 1 2 3 4 24 23 22 21 Les livres de cette série sont publiés pour communiquer rapidement les résultats des recherches, des analyses et de l’expérience opérationnelle de la Banque mondiale. Le degré de révision linguistique varie d’un ouvrage à l’autre. Ce travail est un produit du personnel de la Banque mondiale et comprend des contributions de l’extérieur. Les observations, interprétations et opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas nécessairement les vues de la Banque mondiale, de son Conseil des Administrateurs ou des pays que ceux-ci représentent. La Banque mondiale ne garantit pas l’exactitude, l’exhaustivité ni l’actualité des données citées dans ce rapport, et n’est pas responsable des erreurs, omissions ou informations erronées qui auraient pu s’y glisser, ni des conséquences de l’utilisation ou de la non-utilisation des informations, méthodes, processus ou conclusions qui s’y trouvent. Les frontières, les couleurs, les dénominations et toute autre information figurant sur les cartes du présent rapport n’impliquent de la part de la Banque mondiale aucun jugement quant au statut juridique d’un territoire quelconque et ne signifient nullement que l’institution reconnaît ou accepte ces frontières. Rien de ce qui figure dans le présent rapport ne constitue ni ne peut être considéré comme une limitation des privilèges et immunités de la Banque mondiale, ni comme une renonciation à ces privilèges et immunités, qui sont expressément réservés Droits et autorisations L’utilisation de ce rapport est soumise aux conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 IGO (CC BY 3.0 IGO) http:// creativecommons.org/licenses/by/3.0/igo. Conformément aux termes de la licence Creative Commons Attribution (paternité), il est possible de copier, de distribuer, de transmettre et d’adapter le contenu du rapport, notamment à des fins commerciales, sous réserve du respect des conditions suivantes : Mention de la source — Le rapport doit être cité de la manière suivante : Banque Mondiale et Haut-Commissariat au Plan 2021. Le secteur de l’emploi au Maroc : Recenser les obstacles à un marché du travail inclusif. Washington, DC : Banque mondiale. doi:10.1596/978-1-4648-1678-9. Licence : Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO. Traductions — Si une traduction de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source de l’ouvrage le déni de responsabilité suivant : cette traduction n’a pas été réalisée par la Banque mondiale et ne doit pas être considérée comme une traduction officielle de cette dernière. La Banque mondiale ne saurait être tenue responsable du contenu de la traduction ni des erreurs qu’elle pourrait contenir. Adaptations — Si une adaptation de cet ouvrage est produite, veuillez ajouter à la mention de la source le déni de responsabilité suivant : cet ouvrage est une adaptation d’une œuvre originale de la Banque mondiale. Les idées et opinions exprimées dans cette adaptation n’engagent que l’auteur ou les auteurs de l’adaptation et ne sont pas validées par la Banque mondiale. Contenu tiers — La Banque mondiale n’est pas nécessairement propriétaire de chaque composante du contenu de cet ouvrage. Elle ne garantit donc pas que l’utilisation d’une composante ou d’une partie quelconque du contenu de l’ouvrage ne porte pas atteinte aux droits des tierces parties concernées. L’utilisateur du contenu assume seul le risque de réclamations ou de plaintes pour violation desdits droits. Pour réutiliser une composante de cet ouvrage, il vous appartient de juger si une autorisation est requise et de l’obtenir le cas échéant auprès du détenteur des droits d’auteur. Parmi les composantes, on citera, à titre d’exemple, les tableaux, les graphiques et les images.

Pour tous renseignements sur les droits et licences, les demandes doivent être adressées à World Bank Publications, The World Bank Group, 1818 H Street, NW Washington, DC, 20433, USA ; courriel : pubrights@ worldbank.org. ISBN : 978-1-4648-1678-9 DOI : 10.1596/978-1-4648-1678-9 Photo de couverture : © Arne Hoel / Banque mondiale. Une autorisation supplémentaire est requise pour pouvoir réutiliser cette image. Conception de la couverture : Debra Naylor / Naylor Design Inc.

3

Sommaire

4

Remerciements Contributeurs Abrégé INTRODUCTION DES EMPLOIS PLUS NOMBREUX ET DE MEILLEURE QUALITÉ INCLUSION : INTÉGRATION DES JEUNES ET DES FEMMES DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL DÉFINIR LES PRIORITÉS ET JETER LES BASES DE LA POLITIQUE Sigles et acronymes DÉVELOPPEMENT ET MARCHÉ DE L’EMPLOI AU MAROC LE MARCHÉ DE L’EMPLOI AU MAROC ET LES DÉFIS POUR LA CROISSANCE DE L’EMPLOI VUE D’ENSEMBLE NOTES

6 7 9 9 10 12 12 14 15 18 21 22

Tendances économiques, démographiques et politiques CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET EMPLOI Croissance de la population active et démographie Intensité de la croissance de l’emploi Productivité Changement structurel Urbainisation Disparités régionales Migration PRINCIPAUX DOMAINES D’ACTION AYANT DES CONSÉQUENCES SUR L’EMPLOI Politique macro-économique Climat d’investissement Politiques et institutions du travail Développement du capital humain NOTES

23 23 25 26 28 30 32 32 33 35 35 35 36 39 41

Tendances du marché du travail VUE D’ENSEMBLE DES TRAVAILLEURS MAROCAINS Âge, sexe, scolarité et richesse de la main-d’œuvre marocaine LES PROFILS DE LA POPULATION EN ÂGE DE TRAVAILLER :INACTIFS, SANS-EMPLOI ET SALARIÉS OÙ TRAVAILLENT LES MAROCAINS :LES SECTEURS D’EMPLOI ET LEURS CARACTÉRISTIQUES OÙ TRAVAILLENT LES MAROCAINS :LES ENTREPRISES ET LEURS CARACTÉRISTIQUES NOTES

43 44 46 50 55 63 68

Les défis du marché du travail CRÉER DAVANTAGE D’EMPLOIS EN ACCÉLÉRANT LA TRANSFORMATION STRUCTURELLE INTÉGRER LES JEUNES DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL INTÉGRER LES FEMMES DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL NOTES

69 69

Conclusions et voie à suivre SOUTENIR LA CRÉATION D’EMPLOIS PLUS NOMBREUX ET DE MEILLEURE QUALITÉ DANS LES SECTEURS À PLUS FORTE PRODUCTIVITÉ ENCOURAGER LA FORMALISATION AUGMENTER LA PARTICIPATION DES FEMMES AU MARCHÉ DU TRAVAIL ET LEUR DONNER ACCÈS À DES EMPLOIS DE MEILLEURE QUALITÉ SOUTENIR LES JEUNES DANS LEUR TRANSITION DE LA SCOLARITÉ AU MARCHÉ DU TRAVAIL NOTES Figures Tables

84 85

ANNEXE A: Impact de la pandémie de COVID-19sur les ménages

93

77 79 83

86 87 88 90 91 92

5

Remerciements La préparation du présent rapport a été dirigée par Gladys Lopez-Acevedo, Gordon Betcherman, Ayache Khellaf et Vasco Molini. L’équipe principale réunissait aussi Mahjoub Aaibid, Federica Alfani, Mohammed Assouli, Florencia Devoto, Abdeljaouad Ezzrari, Michele Fabiani, Henri Gannat, Naima Labroud, Salima Mansouri, Matias Morales Cerda, Jaime Alfonso Roche Rodriguez, El Hassania Sabry, Ali Saoud et Khalid Soudi. Ce rapport présente les premiers résultats de la collaboration instaurée en septembre 2019 entre le Haut-Commissariat au Plan (HCP) et la Banque mondiale qui avait pour objectif d’examiner les enjeux d’intérêt commun concernant le marché du travail marocain. Dans le cadre de cette collaboration, les deux parties sont notamment convenues de préparer le présent rapport en plus d’autres documents de référence. C’est ainsi que des spécialistes de la Division des enquêtes sur l’emploi de l’Observatoire des conditions de vie de la population ont aussi participé à sa préparation. Les données de l’Enquête nationale sur l’emploi au Maroc et les capacités analytiques et techniques du HCP ont permis de réaliser une analyse détaillée de la situation du marché du travail ainsi que de ses défis et opportunités. L’équipe exprime sa gratitude à Aldo Morri et à Laura Wallace pour leur travail de révision sur la version d’origine, en anglais. Kathleen G. Beegle et Federica Saliola sont les conseillers-pairs qui ont assuré la revue critique du rapport.

6

Contributeurs Gladys Lopez-Acevedo est économiste principale et chef de programme au Pôle mondial d’expertise de la Banque mondiale en Pauvreté et équité. Elle travaille surtout dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) de la Banque mondiale. Ses analyses et activités opérationnelles portent notamment sur le commerce, la protection sociale, les enjeux sexospécifiques, les conflits et l’emploi. Elle a auparavant été économiste principale au sein des services de l’Économiste en chef de la Banque mondiale dans la région de l’Asie du Sud, et économiste principale à la vice-présidence centrale Lutte contre la pauvreté et gestion économique et dans la région Amérique latine et Caraïbes. Elle est chercheuse attachée à l’Institut d’économie du travail (IZA), au Système national de chercheurs (SNI) du Mexique, et au Economic Research Forum. Avant de rejoindre la Banque mondiale, elle a occupé des postes de haut niveau au sein de l’Administration publique mexicaine et a enseigné à l’Instituto Tecnológico Autónomo de México (ITAM). Elle est titulaire d’un baccalauréat en économie de l’ITAM et d’un doctorat en économie de l’Université de Virginie. Federica Alfani est consultante au Pôle mondial d’expertise de la Banque mondiale en Pauvreté et équité. Elle a dirigé plusieurs projets de recherche sur la pauvreté, le développement rural et les marchés du travail. Elle a auparavant travaillé au Fonds international de développement agricole et à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elle est titulaire d’une maîtrise en économie du développement et en coopération internationale, et d’un doctorat en économie de l’Université de Rome Tor Vergata. Gordon Betcherman est consultant à la Banque mondiale et professeur émérite à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent notamment sur l’économie du travail, la démographie, les politiques sociales et les économies émergentes et en transition. Il est coauteur du Rapport sur le développement dans le

monde 2013 : Emplois. Jobs. Il est chercheur invité à l’Institut d’économie du travail (IZA). Il a quitté la Banque mondiale pour se joindre à l’Université d’Ottawa en 2009. Il est titulaire d’un doctorat de l’Université de Californie à Los Angeles. Florencia Devoto était auparavant consultante au Pôle mondial d’expertise de la Banque mondiale en Pauvreté et équité. En 2006, elle a rejoint le Laboratoire d’action contre la pauvreté (J-PAL), où elle a participé à plusieurs évaluations d’impact randomisées. Ses recherches actuelles portent principalement sur l’accès au microcrédit, la participation des femmes au marché du travail et l’éducation. Elle est titulaire d’un doctorat de l’École d’économie de Paris et d’une maîtrise en administration publique (MAP) en développement international de la Harvard Kennedy School. Michele Fabiani est consultant à la Banque mondiale depuis 2018. Il est professeur associé d’économie politique à l’Université de Macerata. Ses travaux de recherche portent principalement sur la distribution et l’inégalité des revenus. Il a publié des articles sur ces questions dans des revues internationales à comité de lecture, y compris le Journal of African Economies et les Oxford Economic Papers. Il est titulaire d’un doctorat en méthodes quantitatives d’évaluation des politiques de l’Université de Macerata. Henri Gannat est consultant à la Banque mondiale depuis 2017. Il travaille au sein du Pôle mondial d’expertise en Pauvreté et équité à la préparation et à la mise en œuvre d’un projet de renforcement des capacités statistiques qui s’intéresse particulièrement aux enquêtes sur les revenus réalisées au Maroc et en Tunisie. Il participait auparavant à la préparation de projets au sein du Pôle mondial d’expertise en Finance, compétitivité et innovation (Programme d’appui à la commune de Casablanca et Appui à l’inclusion économique des jeunes). Il a débuté sa carrière dans un cabinet-conseil du Caire et auprès d’une agence publique française de coopération à Casablanca. Il est titulaire d’une maîtrise en droit international des affaires de la Sorbonne (Paris), et d’une maîtrise consacrée à la gouvernance et aux actions publiques internationales à Sciences Po.

7

Ayache Khellaf est devenu Secrétaire général du Haut-Commissariat au Plan (HCP), après avoir occupé le poste de Directeur à la Direction de la prévision et de la prospective de cette organisation. Il justifie de plus de 30 ans d’expérience des enjeux du développement économique du Maroc et d’autres pays en développement. Il possède aussi de l’expérience en enseignement et en recherche, et a plusieurs publications à son actif. Il est titulaire d’un doctorat en économie de l’Université Mohamed V du Maroc, d’une maîtrise en politiques économiques de l’Université de l’Illinois, à Urbana Champaign (États-Unis), et d’un diplôme d’ingénieur spécialisé en statistiques de l’Institut national de statistique et d’économie appliquée du Maroc. Vasco Molini est économiste Cadres de la pauvreté à la Banque mondiale pour la région du Maghreb. Il s’intéresse particulièrement à la distribution des revenus, à l’inégalité et aux conflits. Il a publié des articles sur ces questions dans diverses revues internationales à comité de lecture, y compris World Development, Journal of Development Economics, Review of Income and Wealth et Food Policy. Il est titulaire d’un doctorat en économie du développement de l’Université de Florence, et d’un diplôme postdoctoral de l’Université libre d’Amsterdam. Matias Morales Cerda, originaire du Chili, est consultant à la Banque mondiale. Il a travaillé à titre d’assistant de recherche à la Banque interaméricaine de développement, ainsi qu’à titre de consultant auprès du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Il a étudié l’économie à l’Université du Chili, est titulaire d’une maîtrise ès arts de la Duke University, et est actuellement étudiant au doctorat à l’École supérieure d’administration publique de l’Université de New York.

8

Jules Porte est macroéconomiste pour l’Agence française de développement (AFD) depuis 2019 et consultant à la Banque mondiale. Il a travaillé pour le ministère français de l’Économie et des Finances entre 2016 et 2019. Ses principaux intérêts professionnels sont l’évaluation du risque pays et les liens entre macroéconomie, politiques publiques et enjeux liés au développement. Il est titulaire d’un master en économie et développement international de l’Université Paris-Dauphine-PSL. Jaime Alfonso Roche Rodriguez est consultant auprès du Pôle mondial d’expertise de la Banque mondiale en Pauvreté et équité. Ses travaux de recherche portent principalement sur le commerce, la pauvreté et l’emploi. Il est aussi économiste de la Banque centrale du Mexique, où il effectue des analyses macroéconomiques à l’appui des comités de politique monétaire. Il est titulaire d’un baccalauréat en économie du Tecnologico de Monterrey, et d’une maîtrise ès sciences en finances internationales de l’École supérieure de Commerce de Rennes.

Abrégé INTRODUCTION Le présent rapport met en lumière les principaux enjeux et défis du marché du travail marocain. Il est le résultat de la première phase d’un programme d’études sur l’emploi mis en œuvre conjointement avec les autorités du Maroc. Il s’agit d’un diagnostic de l’emploi qui analyse les données provenant principalement des enquêtes sur la main-d’œuvre et utilise de nouvelles méthodes analytiques pour cerner les principales tendances du marché du travail. Les principaux défis recensés serviront de point de départ pour une analyse plus approfondie et la formulation de stratégies dans la prochaine phase du programme. Le rapport définit quatre priorités : 1) accélérer la transformation structurelle pour créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans les secteurs à plus haute productivité ; 2) promouvoir la formalisation et améliorer la qualité des emplois ; 3) accroître la participation des femmes au marché du travail (PFMT) et faciliter l’accès des femmes à des emplois de meilleure qualité ; et 4) soutenir les jeunes dans leur passage des études au marché du travail et abaisser le taux élevé de chômage chez les jeunes. Le Maroc a fait des progrès économiques sensibles au cours des 20 dernières années, ce qui a permis d’améliorer le niveau de vie de sa population. Le revenu par habitant a doublé entre 2000 et 2019, tandis que le taux de pauvreté est tombé au tiers de son niveau de 2000. Les taux d’alphabétisation et les résultats en matière de santé se sont améliorés, de même que l’accès aux infrastructures de base comme l’approvisionnement en eau et en électricité. La productivité du travail s’est également améliorée grâce à une accumulation importante de capital public, mais le rythme se ralentit et il est possible d’améliorer considérablement l’efficacité.

Cependant, la croissance économique du Maroc n’a pas été suffisamment intensive en maind’œuvre pour absorber la population croissante en âge de travailler. La croissance du Maroc a montré une faible capacité à générer des emplois, et cette situation s’est encore aggravée après la crise financière de 2008, à l’instar des pays du sud de l’Europe. Peu d’emplois ont été créés dans le secteur industriel, ce qui a ralenti le rythme des transformations structurelles. Le pays se caractérise également par un secteur informel important, des taux d’inactivité élevés, une faible PFMT, une prédominance de services à faible valeur ajoutée et un environnement des affaires difficile, notamment pour les jeunes entreprises. Le Maroc s’efforce d’échapper au « piège des pays à revenus moyens » ce qui l’empêche de rejoindre les rangs des pays à revenus moyens plus riches. En effet, le rapport entre le PIB moyen par habitant au Maroc et celui des autres pays à revenu moyen de la tranche inférieure, ainsi que celui des pays à revenu moyen de la tranche supérieure, a diminué depuis 2000. Le Maroc cherche également à tirer profit d’un « dividende démographique » substantiel qui persistera jusqu’en 2040. L’augmentation de la population en âge de travailler peut être une force puissante pour la croissance économique, l’inclusion sociale et le développement. Cependant, elle exige en même temps de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité pour absorber la main-d’œuvre croissante. Alors que le Maroc cherche à adopter un modèle de croissance axé sur l’emploi, il est important de reconnaître que la croissance économique ellemême ne se traduit pas automatiquement par une hausse de l’emploi. Le pays aura aussi besoin d’une transformation structurelle qui favorisera la création d’emplois productifs et l’inclusion de tous les groupes.

9

Le roi Mohammed VI a appelé de ses vœux un nouveau modèle de développement inclusif. Une commission spéciale, après de vastes consultations avec les citoyens et les acteurs clés, et des diagnostics approfondis, a élaboré un nouveau modèle de développement axé sur la prospérité, l’autonomisation, l’inclusion, la durabilité et le leadership régional. L’approche basée sur les résultats de la feuille de route promeut un processus de développement axé sur la performance, basé sur des objectifs clairs et des indicateurs de développement. La stratégie du modèle s’appuie sur quatre grands axes de transformation :(i) une économie dynamique et diversifiée qui crée de la valeur ajoutée et des emplois, (ii) un capital humain renforcé et mieux préparé pour l’avenir, (iii) des possibilités d’inclusion pour tous et un lien social plus fort, et (iv) des territoires résilients, points d’ancrage pour le développement. La pandémie de COVID-19 et les mesures sanitaires qui en découlent ont interrompu ou ralenti l’activité économique, venant ainsi aggraver la situation du marché du travail. La demande a chuté et des entreprises ont fermé, éliminant ou mettant en danger l’emploi de nombreuses personnes et réduisant les revenus des ménages. Au début du mois d’avril 2020, près de 60 % des entreprises avaient cessé leurs activités de façon temporaire ou permanente, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP). En juin 2020, 66,2 % des travailleurs étaient encore en chômage temporaire à cause, principalement, de la fermeture de leurs entreprises. En juillet, le taux de chômage a atteint 12,3 %, contre 9,1 % avant la pandémie. La pandémie complique sans

aucun doute les perspectives d’une croissance tirée par l’emploi, et elle rendra encore plus urgents les défis mis en évidence dans le présent rapport, lesquels méritent l’attention des décideurs politiques.

DES EMPLOIS PLUS NOMBREUX ET DE MEILLEURE QUALITÉ La croissance a été tributaire de secteurs à plus forte intensité de capital, générant des gains de productivité du travail au sein des secteurs, mais pas beaucoup entre les secteurs2. En d’autres termes, la main-d’œuvre n’est pas passée des secteurs à faible productivité aux secteurs à forte productivité. Cela est très important, car l’expérience internationale a montré qu’un tel processus est crucial pour assurer une hausse de la productivité totale des facteurs et une croissance économique tirée par l’emploi. Ainsi, la transformation structurelle du Maroc a été lente. Il y a eu des pertes d’emplois dans l’agriculture, mais peu de créations d’emplois dans le secteur manufacturier, ce qui présage une « désindustrialisation prématurée ». Un grand nombre de travailleurs ont été libérés du secteur agricole, mais seule une petite partie a été absorbée par le secteur industriel. Entretemps, la part des services a également connu une lente augmentation comparativement à la situation observée dans d’autres pays en développement, et beaucoup de travailleurs restent actifs dans des services informels.

Le rapport général présente les principales conclusions et recommandations de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD). Source : https://www.csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf 2 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 2. Orienter les acteurs économiques vers les activités productives ». 1

10

La transformation structurelle a également souffert du fait que le secteur privé n’a pas pu contribuer suffisamment à la création d’emplois. Malgré certains gains de classement dans les indicateurs Doing Business, des efforts considérables restent à faire dans le secteur privé. L’accumulation de capital public et un environnement des affaires difficile pour les entreprises, caractérisé par un accès coûteux à la terre, un système fiscal complexe (et une charge fiscale comparativement élevée), le manque de main-d’œuvre qualifiée et de programmes de formation, et un accès insuffisant au financement (IFC, 2019) ont « évincé » le secteur privé, limitant sa contribution à une croissance à forte intensité d’emplois. Entre-temps, alors que des possibilités d’émigration étaient disponibles avant 2008, les opportunités de migrations se sont réduites depuis la crise financière de 2008. La diminution du nombre d’emplois, conjuguée à la croissance de la main-d’œuvre et à la persistance de l’informalité, a entraîné une hausse de l’inactivité et un chômage persistant. On constate des disparités régionales concernant la croissance économique, la création d’emplois et les facteurs économiques sectoriels. Le secteur des services a été le moteur de la croissance et de l’emploi dans certaines régions (Rabat), tandis que le secteur secondaire (industrie) a été plus important ailleurs (Casablanca). Même dans le secteur des services, la croissance dans certaines régions a été caractérisée par des activités à plus forte intensité de main-d’œuvre et à faible valeur ajoutée (Casablanca), tandis que d’autres régions (Rabat) affichaient une croissance des

services à plus forte productivité. Il existe donc des exemples de réussite pour promouvoir les retombées dans d’autres secteurs et régions. Entravées par l’environnement des affaires, les ventes du secteur privé, qui sont en étroite corrélation avec la création d’emplois, ont été lentes3. Malgré certains assouplissements du cadre réglementaire, les entreprises privées font état de difficultés sur le plan de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, de concurrence du secteur informel, de réglementation et de charges fiscales. Le secteur marocain des exportations n’a pas réussi à générer les retombées productives qui permettraient d’améliorer les chaînes de valeur locales. Conjuguée à un manque d’emplois industriels, cette situation a créé une pénurie d’emplois productifs dans les secteurs à forte valeur ajoutée. Le Maroc a connu une formalisation croissante de l’emploi, mais il y a encore beaucoup à faire pour améliorer la situation4. La proportion de travailleurs salariés formels a augmenté régulièrement, passant de 29 % en 2000 à 45 % en 2019, ce qui signifie que plus de la moitié des travailleurs salariés travaillent toujours dans le secteur informel. Il en résulte non seulement une baisse des recettes fiscales de l’État, mais aussi l’impossibilité de bénéficier d’un plus grand nombre de travailleurs disposant de contrats réguliers, de régimes de retraite et d’un accès à une assurance maladie de qualité et fiable. Il est donc important de comprendre pourquoi l’embauche formelle est limitée et d’élaborer des politiques qui permettront de lever les obstacles.

1 Le rapport général présente les principales conclusions et recommandations de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement (CSMD). Source : https:// www.csmd.ma/documents/Rapport_General.pdf 2 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 2. Orienter les acteurs économiques vers les activités productives ».

11

INCLUSION : INTÉGRATION DES JEUNES ET DES FEMMES DANS LE MARCHÉ DU TRAVAIL Le marché du travail a largement exclu deux groupes importants : les jeunes et les femmes5 Une grande partie des jeunes Marocains ne travaillent pas ou n’investissent pas dans l’amélioration de leurs perspectives d’emploi. Le tiers environ des jeunes de 15 à 24 ans, qui ne sont ni en emploi, ni aux études, ni en formation, forment le groupe des NEET (de l’anglais : not in education, employment, or training). Ce phénomène donne à penser qu’il existe un grand nombre de jeunes inactifs et découragés, ce qui peut entraver leur capacité à long terme à acquérir des compétences et à contribuer à l’avenir économique et social du pays. En même temps, la participation des femmes au marché du travail (PFMT) est en déclin et se situe en dessous de 30 %, ce qui est faible même dans une région caractérisée par une faible PFMT. Pour lutter contre cette exclusion, il faut s’attaquer à divers facteurs, notamment les normes sociales tenaces qui peuvent entraver la capacité des femmes à travailler. Le ralentissement économique provoqué par la COVID-19 va probablement exacerber les défis auxquels sont confrontés ces groupes exclus. La participation des jeunes et des femmes au marché du travail est faible malgré un meilleur niveau d’instruction. Le problème de l’emploi au Maroc se caractérise davantage par une faible participation de la population active que par un chômage déclaré. Les taux de chômage sont restés assez stables ces dernières années (jusqu’à la crise sanitaire liée au COVID-19), tandis que l’inactivité a augmenté, aggravant de ce fait les problèmes liés aux NEET et à la PFMT. Cette inactivité et la faiblesse de la PFMT se sont aggravées malgré l’amélioration de l’éducation et l’accès des femmes à celle-ci.

De nombreux jeunes et femmes découragés n’ont pas pu trouver de bons emplois et ont cessé de chercher du travail, ce qui suscite des inquiétudes quant à la qualité et à la pertinence de l’éducation, ainsi qu’à la capacité du pays à récolter les fruits de ses importants investissements dans l’éducation.

DÉFINIR LES PRIORITÉS ET JETER LES BASES DE LA POLITIQUE Afin de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité et d’amener davantage de jeunes et de femmes — en particulier les NEET — sur le marché du travail, l’analyse suggère les domaines prioritaires suivants. Ces domaines soulèvent chacune des questions qui serviront à alimenter les activités de la prochaine étape du programme.

Premièrement accélérer les changements structurels et créer plus d’emplois dans les secteurs à forte productivité. Le Maroc est passé de l’agriculture à des services informels à faible valeur ajoutée plutôt qu’à des emplois industriels productifs et à forte intensité de main-d’œuvre ou à des emplois de services à forte valeur ajoutée. Il peut avoir besoin à la fois de favoriser l’industrialisation et de stimuler les services formels à forte valeur ajoutée dans tout le pays, ou de se concentrer sur certains sous-secteurs et pôles d’activité géographiques. Dans un cas comme dans l’autre, il faudra continuer à développer les compétences de la main-d’œuvre et à diffuser la technologie et le savoir-faire dans tous les secteurs et toutes les régions. Cependant, des recommandations politiques concrètes nécessitent un travail d’analyse plus approfondi fondé sur des données de productivité ventilées.

Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 1 : Sécuriser l’initiative entrepreneuriale » 4 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 2. Orienter les acteurs économiques vers les activités productives ». 5 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 3 : Des opportunités d’inclusion pour tous et un lien social consolidé, « Choix stratégique 1. Autonomiser les femmes et assurer l’égalité de genre et la participation » et «Choix stratégique 2. Favoriser l’inclusion et l’épanouissement des jeunes en multipliant les opportunités et voies de participation ».

3

12

Deuxièmement promouvoir une plus grande formalisation de l’économie. L’existence d’un secteur informel important entrave la productivité du travail, érode l’assiette fiscale et laisse de nombreux travailleurs et leurs familles sans assurance maladie et sociale adéquate. Encourager les emplois formels pourrait nécessiter différents types de mesures, notamment des réformes de l’environnement des affaires, la réduction du coût du travail, ou des initiatives comme le développement des compétences pour améliorer la productivité. Pour comprendre les contraintes de la formalisation et, par extension, les actions qui permettraient de s’attaquer à l’informalité, il faut analyser les données de l’entreprise, notamment les données salariales à l’échelle des entreprises et des particuliers. L’expérience internationale en matière de lutte contre l’informalité pourrait aussi s’avérer précieuse.

Troisièmement intégrer davantage de femmes dans la population active. Cet effort permettrait de réduire les disparités entre les sexes, de donner aux femmes les moyens de prendre des décisions au sein du ménage, d’accroître les investissements des ménages dans l’éducation et la santé, et d’exploiter une ressource essentielle de travail pour le développement économique. La prochaine phase des activités de programme portera sur l’analyse des facteurs à l’origine de ces tendances ; elle s’appuiera sur les enquêtes sur les valeurs mondiales, sur les données Gallup, sur des groupes de discussion et sur l’expérience internationale en matière de PFMT.

Quatrièmement soutenir les jeunes dans leur passage des études au monde du travail. Bien que le Maroc ait fait des progrès importants dans le domaine de l’éducation, des améliorations supplémentaires sont nécessaires pour créer une main-d’œuvre capable de stimuler la croissance de l’emploi et pour aider les jeunes à obtenir des emplois hautement productifs. Les enjeux suivants sont recensés dans le rapport, mais nécessitent un travail d’analyse plus approfondi, ainsi qu’un examen des expériences internationales, afin d’identifier des solutions politiques concrètes : – La nécessité de réduire les taux élevés d’abandon scolaire chez les jeunes. – La nécessité d’une formation professionnelle de qualité et à grande échelle pour améliorer l’employabilité des jeunes de 18 à 24 ans sans éducation formelle au-delà de l’école secondaire. – La nécessité d’aider les jeunes hautement qualifiés à faire la transition entre les établissements d’enseignement supérieur et le monde du travail. – La nécessité d’une éducation de meilleure qualité pour tendre vers le respect des normes et indicateurs internationaux. La prochaine phase des activités de programme entreprendra un examen minutieux des moteurs de la productivité et de l’informalité, de la PFMT et du passage des études à la vie professionnelle. L’objectif sera de rassembler des données sur des options politiques concrètes pour traiter les problèmes recensés dans la phase initiale. Ce diagnostic de l’emploi a examiné les tendances du marché du travail et a recensé un ensemble de problèmes qui empêchent le Maroc de créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, et de créer des chances pour tous les segments de la population (y compris les femmes et les jeunes). La réalisation de ce travail nécessitera l’accès à des données qui permettront d’approfondir notre compréhension de ces questions.

13

Sigles et acronymes ANAPEC CNOPS CNSS EFTP ENE HCP IDH MENA NEET PAMT PFMT PIB PISA PMV PPP

14

Agence Nationale de Promotion de l’Emploi et des Compétences Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale Caisse Nationale de Sécurité Sociale Enseignement et formation techniques et professionnels Enquête Nationale sur l’Emploi Haut Commissariat au Plan Indice de développement humain Moyen-Orient et Afrique du Nord « ni en emploi, ni aux études, ni en formation » (de l’anglais not in education, employment, or training Politiques actives du marché du travail Participation des femmes au marché du travail Produit intérieur brut Programme international pour le suivi des acquis des élèves (de l’anglais Program for International Student Assessment) Plan Maroc Vert Parité de pouvoir d’achat

DÉVELOPPEMENT ET MARCHÉ DE L’EMPLOI AU MAROC Le présent rapport analyse l’économie marocaine sous le prisme de l’emploi, en inscrivant la création d’emplois au cœur du débat actuel sur le développement et la croissance du pays. Première étape des activités de programme liées à l’agenda du marché de l’emploi, il vise à aider les responsables politiques à adopter un modèle de croissance et de développement tourné vers l’emploi. Le document propose une analyse des indicateurs et des tendances du marché du travail sur une période de 20 ans et applique des approches méthodologiques afin d’identifier les obstacles à la création d’emplois, en utilisant les données sur la population active et des sources complémentaires. Il met en évidence plusieurs problèmes qui affectent le marché du travail marocain et qui méritent d’être résolus. À noter que ces enjeux ont récemment pris encore plus d’importance, étant donné que la pandémie de COVID-19 et les mesures de sécurité sanitaire qui en découlent sont susceptibles de les rendre plus difficiles à traiter et de ralentir davantage la reprise économique. Le présent rapport est fondé sur la conviction que l’emploi constitue le point de départ du développement et de la réduction de la pauvreté. Les emplois sont essentiels pour parvenir au développement et à l’amélioration des conditions de vie. Ils génèrent des revenus, réduisent la pauvreté, améliorent la productivité lorsque les travailleurs passent du secteur agricole à ceux de l’industrie et des services, et rapprochent des personnes d’horizons différents. Ils ont également des retombées positives. Les femmes ayant des revenus liés à un emploi permettent notamment aux ménages de dépenser davantage dans les domaines de l’éducation et de la santé, et les emplois connectés aux marchés mondiaux

fournissent de nouvelles technologies. (Le tableau 1.1 présente les concepts clés dont il est fait mention dans ce rapport). Le présent rapport ouvre de nouvelles perspectives dans certains domaines cruciaux pour le développement du Maroc. Premièrement, il apporte une contribution non négligeable en utilisant, pour la première fois, des microdonnées disponibles grâce à une collaboration fructueuse avec le Haut Commissariat au Plan (HCP). Il exploite ensuite ces microdonnées afin d’analyser en profondeur 20 ans d’évolution du marché du travail - notamment le rythme et les sources de croissance, les modèles régionaux de transformation structurelle, les moteurs de la formalisation et l’inclusion de sous-groupes de la population en âge de travailler sur le marché de l’emploi. Dans le passé, une grande partie de cette analyse reposait sur des données empiriques. À la suite de réformes politiques et institutionnelles, le Maroc a enregistré une croissance soutenue et une réduction de la pauvreté après 1999. Depuis 2009, en revanche, la croissance s’est ralentie. En 1999, le Maroc a instauré une monarchie constitutionnelle avec un parlement élu, offrant ainsi une stabilité politique substantielle permettant de mener à bien les réformes et libéraliser l’économie. De 2000 à 2019, le pays a enregistré une forte progression économique, avec une croissance annuelle du produit intérieur brut (PIB) de 4,2 % en moyenne. Le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 15,3 % en 2001 à 4,8 % en 2014. La croissance du PIB par habitant s’est toutefois ralentie, notamment après la crise financière mondiale de 2008. Cette situation est attribuable à un ralentissement économique en Europe, notamment en France, en Espagne et en Italie, les principaux partenaires commerciaux du Maroc.

15

TABLEAU 1.1 Concepts et définitions du marché du travail utilisés dans le rapport MAIN D’ŒUVRE Population en âge de travaille

Selon la définition de l’Organisation internationale du travail (OIT) et du Haut Commissariat au Plan, cet indicateur prend en compte l’ensemble de la population âgée de 15 ans et plus.

Population active (main-d’œuvre)

Tout individu âgé de 15 ans et plus, actif occupé ou au chômage.

Population active occupé

Individus âgés de 15 ans et plus occupant un emploi (salarié, indépendant, …)

Chômeurs

Individus âgés de 15 ans et plus sans emploi, disponibles pour travailler et qui cherchent d’emploi.

Population inactive

Personnes sans emploi et qui n’en cherchent pas. Cette population comprend les étudiants, les personnes au foyer, les personnes effectuant des travaux ménagers, les malades ainsi que les personnes âgées...

NEET (« ni en emploi, ni aux études, ni en formation »)

Individus âgés de 15 à 24 ans sans emploi et ne poursuivant pas d’études ou de formation.

Salariés

Travailleurs exerçant le type d’emplois définis comme « emplois rémunérés », dont les bénéficiaires détiennent des contrats de travail explicites (écrits ou oraux) ou implicites leur octroyant une rémunération de base qui ne dépend pas directement des revenus de l’unité pour laquelle ils travaillent (OIT 2015).

Travailleurs indépendants

Travailleurs exerçants, pour leur propre compte ou avec un ou plusieurs associés, le type d’emplois définis comme « emplois indépendants ». Les membres des coopératives de producteurs sont des travailleurs occupant des « emplois indépendants » dans une coopérative produisant des biens et des services (OIT 2015).

Travailleurs dans des activités familiales (non rémunérés)

Personnes travaillant dans une ou plusieurs entreprises pour un membre de la famille du même ménage sans recevoir de salaire, ou simplement une personne assistant un membre de sa famille dans son travail (HCP).

Employés du secteur formel

Travailleurs bénéficiant de tout type de régime de protection sociale, en étant couverts contre les risques de maladie et d’accident du travail, de maternité, d’invalidité et de vieillesse.

Salariés du secteur public (formel)

Fonctionnaires bénéficiant de l’assurance maladie de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale — CNOPS). La Caisse de retraite marocaine et d’autres fonds spécifiques à certaines institutions publiques qui gèrent les pensions.

Salariés du secteur privé (formel)

Travailleurs employés dans des entreprises privées soumises à l’assurance maladie, gérée principalement par la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).

Source : Compilation de la Banque mondiale.

16

La croissance de l’emploi ne correspond pas à la croissance économique. Le développement économique ne s’est pas traduit par un nombre suffisant d’emplois à haute productivité capable d’absorber l’ensemble de la main-d’œuvre marocaine. Par ailleurs, le taux de croissance générant des emplois n’a cessé de diminuer. En outre, le secteur industriel n’a pas réussi à fournir suffisamment d’emplois pour favoriser une réaffectation de la main-d’œuvre du secteur agricole vers le secteur industriel - les services devenant le principal secteur générateur d’emplois. Néanmoins, une part très importante des emplois du secteur des services reste informelle. Le Maroc tente également de surmonter le « piège du revenu intermédiaire », qui a entravé la création d’emplois de meilleure qualité dans le pays. Depuis 2000, la croissance du PIB par habitant au Maroc est inférieure à la moyenne des autres pays à revenu intermédiaire. Face à des difficultés économiques plus importantes depuis 2008, le rythme de l’économie s’est ralenti. Sur le marché du travail, le chômage a persisté et l’inactivité a augmenté, ce qui a renforcé l’exclusion du marché du travail, en particulier pour les populations jeunes et les femmes. La précarité, la sécurité sociale, la qualité de l’éducation et l’intégration économique et sociale des différents groupes continuent de poser problème. Conscient des défis à relever, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a annoncé la création d’une Commission Spéciale sur le Modèle de Déveleppement chargée d’adopter un modèle de développement participatif et inclusif afin de réduire les inégalités sociales et spatiales. 1 La commission spéciale a entrepris un diagnostic approfondi des obstacles tant immatériels que concrets qui entravent le développement du pays et a proposé un « nouveau modèle de développement économique » (NMD) basé sur des objectifs et des indicateurs de développement clairs - pour parvenir à la prospérité, à l’autonomisation, à l’inclusion, à la durabilité et au leadership régional. La stratégie du modèle s’appuie sur quatre grands axes de transformation:(i) une économie dynamique et diversifiée qui crée de la valeur ajoutée et des emplois, (ii) un capital humain renforcé et mieux préparé pour l’avenir, (iii) des possibilités d’inclusion pour tous et un lien social plus fort,

et (iv)des territoires résilients, points d’ancrage pour le développement. Les évolutions démographiques peuvent être utiles pour stimuler la croissance par la création d’emplois et les résultats du marché du travail. Le Maroc a le potentiel d’exploiter une « fenêtre d’opportunité » démographique entre 2000 et 2040, avec une proportion favorable de personnes à charge par rapport à la population en âge de travailler. Cette situation est en mesure de soutenir une forte croissance du PIB si un nombre suffisant d’emplois de qualité est créé et maintenu. Le confinement imposé a eu des conséquences importantes sur les conditions économiques des ménages. D’après l’enquête sur l’impact de COVID-19 sur la situation économique, sociale et psychologique des ménages menée par le HCP (2020a), 79 % des ménages ont respecté le confinement imposé après la proclamation de l’état d’urgence sanitaire. Toutefois, ceux qui ne l’ont pas respecté invoquent des raisons économiques et professionnelles (approvisionnement domestique et travail) comme principales motivations de leur besoin de sortir de chez eux. Parallèlement, 34 % des ménages ont déclaré n’avoir eu aucune source de revenus au cours de cette période, tandis que 38 % des ménages étaient tout juste en mesure de faire face à leurs dépenses essentielles dans le contexte financier actuel. Les tendances actuelles concernant la nature du travail ont connu une accélération à la suite de la pandémie de COVID-19. Comme le note le Rapport sur le développement dans le monde 2019 (Banque mondiale 2019), alors que les frontières des entreprises dans les économies en développement s’estompent en raison de l’essor des places de marché que constituent les plateformes, la technologie a redéfini les compétences nécessaires pour travailler ou exercer un emploi peu qualifié. Néanmoins, les travailleurs occupent souvent des emplois informels à faible productivité et dont l’accès aux technologies est limité. La pandémie a ainsi accéléré l’évolution de la notion de travail, exigeant des entreprises qu’elles adoptent rapidement la numérisation sous peine de devoir fermer leurs portes, et des travailleurs qu’ils acquièrent des compétences et une expérience du travail numérique à distance sous peine de perdre leur emploi.

17

La pandémie de COVID-19 augmente également l’urgence de la création d’emplois. Cette crise sanitaire a engendré des charges supplémentaires pour les ménages et les entreprises, accélérant de fait les pertes d’emploi, exacerbant d’autres défis du marché du travail et menaçant de réduire à néant des années de travail pour tenter de réduire la pauvreté. Les mesures prises pour ralentir la propagation du COVID-19 entravent la capacité des membres du foyer à travailler et à générer des revenus, augmentant ainsi leur risque de basculer dans la précarité. Les entreprises, confrontées à des contraintes de fonctionnement et à une baisse de la demande, risquent de faire faillite, ce qui entraînerait de fait une baisse de l’emploi (voir encadré 1.1). Bien que la pandémie et le confinement soient actuellement des facteurs dominants, le marché du travail marocain sera confronté à des défis à plus long terme. La partie suivante décrit ces défis pour le marché du travail et identifie les contraintes liées à la création d’emplois de meilleure qualité, plus inclusifs et en plus grand nombre.

LE MARCHÉ DE L’EMPLOI AU MAROC ET LES DÉFIS POUR LA CROISSANCE DE L’EMPLOI Le faible taux de création d’emplois à la faveur de la croissance économique marocaine peut être attribué à la dépendance à l’égard des secteurs à forte intensité de capital, à la faiblesse des progrès en matière d’efficacité et à la faible mise à niveau des secteurs économiques7. À mesure que les économies se développent, les changements structurels et la réaffectation des intrants, y compris la main-d’œuvre, contribuent généralement à améliorer l’économie grâce à l’apparition de nouvelles technologies, de nouveaux processus de production et de nouveaux marchés. L’augmentation de la productivité du travail sous-tend la croissance du PIB, mais elle a eu lieu à l’intérieur des secteurs et non entre eux, ce qui indique une plus grande accumulation de capital sans pour autant améliorer l’efficacité économique ou moderniser la structure économique. Les investissements importants en capital du secteur public n’ont pas été alloués efficacement afin de maximiser la croissance économique et créer des emplois productifs.

18

La transformation structurelle a été lente et hétérogène selon les régions. Historiquement, le processus de développement implique une transformation sectorielle de l’économie, la part de l’agriculture diminuant tandis que l’industrie croît puis stagne (et décline parfois), tandis que le secteur des services finit par constituer la plus grande part du PIB. Toutefois, cette transformation se produit très lentement au Maroc, et des signes de « désindustrialisation prématurée » peuvent être observés, l’industrie ne s’étant pas développée et n’ayant pas créé d’emplois comme c’est généralement le cas dans les pays développés lorsqu’ils s’enrichissent. 2 Si les travailleurs ont délaissé le secteur agricole, le processus a été plus lent que dans certains autres pays, et les travailleurs ayant quitté le secteur agricole n’ont pas trouvé d’emplois dans le secteur industriel, mais se sont plutôt tournés vers le secteur des services, en occupant souvent des emplois informels. Par ailleurs, l’ampleur de la croissance et de la transformation structurelle sectorielle varie fortement selon les régions. Parmi les 12 régions du Maroc, deux d’entre elles (Casablanca-Settat et Rabat-Salé-Kenitra) représentent plus de 40 % du PIB et plus d’un tiers de la population, tandis que les 5 premières régions représentent plus de 70 % du PIB. Bien que le processus de formalisation se soit amélioré, la qualité globale des emplois demeure médiocre8. Une lente évolution de l’économie vers des secteurs à plus forte valeur ajoutée a entravé la transformation structurelle nécessaire pour créer une demande de maind’œuvre qualifiée. L’économie marocaine dépend encore largement de l’agriculture, qui constitue la majorité des emplois à faible productivité, le plus souvent sous la forme d’un travail familial non rémunéré, sans sécurité sociale ni couverture médicale. De 2007 à 2019, la formalisation des travailleurs salariés a augmenté, sous l’impulsion du secteur privé ; pourtant, près de 55 % des travailleurs salariés sont encore informels. Les entreprises du secteur privé, confrontées à un contexte économique défavorable, n’ont pas été en mesure de devenir un véritable moteur de création d’emplois9. Bien que l’emploi salarié privé formel ait augmenté, les entreprises privées, confrontées à des engorgements et à un environnement des affaires difficile, ne

parviennent pas à se développer. Le secteur privé s’est développé, créant 1,1 million d’emplois formels au cours des deux dernières décennies, mais le nombre de start-ups et de jeunes entreprises créatrices d’emplois reste faible. Un environnement des affaires défavorable entrave la croissance du secteur privé, phénomène fortement lié à la création d’emplois. Selon le Diagnostic du secteur privé de la Banque mondiale,3 les entreprises sont confrontées à des réglementations contraignantes, exercées à la discrétion des autorités qui accordent des avantages indus à certaines entreprises. Les entreprises invoquent également les taux d’imposition (notamment un impôt élevé sur le travail) et les procédures lourdes de l’administration fiscale comme autant d’obstacles importants. L’industrie automobile a toutefois réussi à s’imposer comme un secteur d’activité majeur. Selon la Direction des études et des prévisions financières (DEPF 2020), ce secteur s’est avéré suffisamment intégré aux chaînes de valeur mondiales puisqu’il est devenu le premier secteur exportateur avec 26 % des exportations nationales et 27 % des emplois industriels en 2018. Les autorités marocaines ont pour objectif de renforcer la position du pays dans ce secteur et de continuer à attirer les investissements étrangers afin d’accroître la capacité industrielle jusqu’en 2023.

stable depuis 2009, mais l’inactivité est en hausse, ce qui entraîne un taux de non-emploi très élevé. Le taux d’inactivité au Maroc est passé de 47 % en 2000 à 54 % en 2019 ; plus de la moitié de la population marocaine en âge de travailler n’occupe pas d’emploi et n’en cherche même pas. Bien que le taux d’inactivité ait augmenté en partie en raison de la hausse des inscriptions dans l’enseignement secondaire et supérieur, près des deux tiers de l’augmentation de la population inactive sont le fait de personnes non scolarisées. Alors que les niveaux d’éducation s’améliorent, le Maroc risque de ne pas profiter des gains de productivité possibles pendant sa « fenêtre d’opportunité démographique », 4 laquelle devrait se prolonger jusqu’en 2040. Aussi bien chez les hommes que chez les femmes, les groupes d’âge les plus jeunes sont confrontés à un taux de chômage plus élevé. Les systèmes d’intermédiation sont insuffisamment utilisés, car la plupart des personnes se fient à leur réseau familial et leur cercle d’amis pour trouver un emploi.

La mauvaise qualité de l’enseignement et des compétences de la main-d’œuvre constitue un autre sujet de préoccupation10. Malgré une amélioration des niveaux d’éducation, un tiers de la population souffre toujours d’analphabétisme. La faible employabilité des personnes ayant suivi un enseignement postsecondaire et tertiaire soulève également des inquiétudes quant à la qualité de l’enseignement. Cette inadéquation des compétences réduit le rendement des investissements consacrés à l’éducation.

Le Maroc ne parvient pas encore à faire entrer un grand nombre de femmes et de jeunes sur son marché du travail11. La majorité des inactifs sont des femmes, tandis que les hommes enregistrent un taux d’inactivité plus faible, mais un taux de chômage plus élevé. L’inactivité et le chômage sont tous deux élevés chez les jeunes de la tranche d’âge 15-24 ans. Au cours de la dernière décennie, le taux de personnes en situation de NEET (« ni étudiant, ni employé, ni en formation ») s’est maintenu à environ 29 %, soit l’un des taux les plus élevés du MoyenOrient et de l’Afrique du Nord. Le statut de NEET est étonnamment « persistant » : on a constaté que les personnes qui n’étaient ni étudiants ni employés ni en formation en 2010 ne l’étaient toujours dix ans plus tard (Alfani et al. 2020). Ce résultat à long terme constitue un obstacle majeur à une stratégie de croissance axée sur l’emploi.

L’augmentation de l’inactivité combinée à un chômage persistant laisse penser que de nombreux Marocains, découragés, ont renoncé à chercher un emploi. Le chômage est relativement

Plus de 70 % des femmes en âge de travailler n’ont pas d’emploi ou ne cherchent pas à en obtenir. Malgré l’amélioration des taux de scolarisation, les femmes sont de moins en moins

Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 2. Orienter les acteurs économiques vers les activités productives ». 8 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 2. Orienter les acteurs économiques vers les activités productives ». 9 Le nouveau modèle de développement aborde ces questions dans son Axe 1 : Une économie productive, diversifiée, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois de qualité, « Choix stratégique 1 : Sécuriser l’initiative entrepreneuriale »

7

19

susceptibles de travailler en dehors du foyer. Ce phénomène serait lié aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants, aux normes sociales traditionnelles liées au genre, ainsi qu’à l’écart entre les compétences des femmes et celles recherchées par les employeurs. Les femmes vivant en milieu urbain sont confrontées à une réalité très différente de celle des femmes vivant en milieu rural. Les premières ne parviennent pas à trouver des emplois à haute productivité malgré un niveau d’éducation supérieur, tandis que les secondes sont principalement engagées dans des travaux agricoles à faible productivité et non rémunérées, sans couverture médicale ni sécurité sociale.

La pandémie de COVID-19 complique et renforce l’urgence des questions relatives aux populations NEET et à la faible participation des femmes au marché du travail (FLFP). La pandémie pourrait réduire encore plus la PFMT, dans la mesure où l’on attend des femmes qu’elles s’occupent davantage des tâches domestiques, mais aussi parce qu’elles ne sont généralement pas prioritaires, au sein des ménages, dans la recherche d’un emploi. Par ailleurs, il est possible que la population des NEET augmente puisque les emplois seront moins nombreux et que les postes vacants iront probablement aux travailleurs expérimentés.

ENCADRÉ 1.1

La pandémie de COVID19- souligne l’urgence de la création d’emplois au Maroc. Des enquêtes menées auprès des ménages et des entreprises au Maroc en avril et juin 2020 donnent un aperçu de l’impact de la pandémie et de la manière dont celle-ci risque de compliquer les perspectives de croissance axée sur l’emploi. En avril 2020, un pourcentage étonnamment élevé de 34 % des ménages marocains ont indiqué ne pas avoir de source de revenus en raison du confinement (HCP 2020a). En avril 2020, près de la moitié des ménages (49 %) ont déclaré qu’au moins un de leurs membres salariés avait été contraint d’arrêter de travailler ; 40 % avaient reçu une aide de l’État ou de leur employeur ; et 22 % des ménages urbains et 11 % des ménages ruraux avaient reçu une aide de l’État pour compenser les pertes d’emploi. Dans le domaine économique, près de 142 000 entreprises (57 %) ont fermé leurs portes de façon temporaire ou permanente, et 27 % des entreprises ont déclaré qu’elles allaient réduire leurs effectifs de façon temporaire ou permanente. (Il convient de noter que l’enquête porte sur les secteurs manufacturier, du bâtiment, de l’énergie, des mines, de la pêche, du commerce et des services non financiers). Des licenciements massifs dans les secteurs du tourisme, de l’hôtellerie et des industries

20

exportatrices à forte intensité de main-d’œuvre (textile, automobile, aéronautique et transports) ont détruit près de 726 000 emplois (soit environ 3 % de la population en âge de travailler). Il sera plus difficile que jamais pour les jeunes travailleurs et les femmes du Maroc de trouver un emploi. Au mois de juin 2020, 66,2 % des travailleurs étaient encore licenciés, la fermeture d’entreprises étant la principale raison invoquée (HCP 2020b). En juillet, le taux de chômage a grimpé jusqu’à 12,3 %, par rapport à 9,1 % avant la pandémie. La reprise après l’arrêt de la pandémie a été lente et constitue toujours un défi pour les travailleurs marocains. Selon le HCP (2020b), en juin 2020, deux tiers des travailleurs actifs avaient dû cesser temporairement leur activité - et plus de la moitié (53 %) étaient toujours en situation de licenciement, tandis que 36 % seulement avaient retrouvé leur emploi. Parallèlement, 62 % des travailleurs ont déclaré une baisse de leurs revenus pendant la période de confinement. Toutefois, les prévisions des employeurs laissent entrevoir une légère reprise, puisque 78 % d’entre eux ont déclaré qu’ils croyaient pouvoir compter sur un retour de leur activité

VUE D’ENSEMBLE Ce rapport établit le contexte des activités de programme sur l’emploi en analysant les conditions macro-économiques globales et leur incidence sur la création d’emplois. Conformément au cadre de diagnostic de l’emploi, il identifie tout d’abord les facteurs clés de la création d’emplois : la stabilité macroéconomique, un environnement des affaires favorable, l’investissement dans le capital humain et l’État de droit. Il analyse également les évolutions sur une période de 20 ans de la croissance du Maroc, du PIB par secteur, de l’emploi, de la démographie, de la migration et des investissements dans l’éducation, tout en tentant d’expliquer pourquoi la croissance ne s’est pas accompagnée de création d’emplois. Le rapport se concentre ensuite sur les niveaux macro-économique et micro-économique afin de cerner les tendances et les conditions du marché du travail. Il est important de s’efforcer d’orienter la croissance de manière à ce qu’elle se traduise par davantage d’offres d’emploi - la croissance seule ne se traduisant pas nécessairement par une création d’emplois. Pour cela, il faut comprendre les principaux facteurs démographiques et économiques : taille et caractéristiques de la population active et inactive, des employés et des chômeurs, des employeurs et des entreprises, et des disparités régionales et sociales. À l’aide des données sur la main-d’œuvre et les entreprises de la Banque mondiale, le rapport dresse le profil des travailleurs et des employeurs/entreprises par secteur, région, niveau d’éducation et tranche d’âge. En étudiant de manière plus approfondie la transformation structurelle du Maroc, son environnement des affaires et le profil des populations de NEET et des travailleurs féminins, le rapport vise à identifier les idées et les contraintes permettant de créer des emplois plus nombreux, de meilleure qualité et plus inclusifs. Plus précisément, ce diagnostic des emplois aborde les questions suivantes : Quelle a été la corrélation entre la création d’emplois et la croissance ? Quelles sont les politiques macro-économiques qui ont influencé le marché du travail ? Quelles micro-évolutions ont eu lieu sur le marché du travail au Maroc au cours des deux dernières décennies ? Quels sont les principaux défis auxquels le marché du travail est confronté ?

Quelles catégories de personnes ont été touchées et comment ? Les responsables politiques marocains doivent savoir quels emplois contribuent le plus au développement et comment ils peuvent aider le secteur privé à créer davantage d’emplois. La phase suivante des activités de programme, qui a débuté en juillet 2020, permettra d’analyser plus en détail les questions clés liées à la transformation structurelle, aux déterminants des populations NEET et FLFP. La suite du présent rapport est structurée comme suit : Le chapitre 2 définit le contexte de l’économie marocaine et la manière dont il affecte la création d’emplois. La première moitié passe en revue les tendances économiques et démographiques. La seconde moitié est consacrée à l’étude des diverses politiques qui influent sur la création d’emplois, notamment le cadre macroéconomique, le climat d’investissement, les politiques et les institutions du travail, ainsi que l’éducation et la formation. Le chapitre 3 se concentre sur les microtendances du marché du travail. Ce chapitre examine les changements intervenus sur le marché du travail au cours des 20 dernières années. La première moitié met en lumière les changements survenus sur le marché du travail au cours de cette période, tandis que la seconde moitié se concentre sur les caractéristiques des travailleurs, le secteur d’emploi et les entreprises, en utilisant la dernière enquête disponible pour les niveaux d’âge, de sexe, d’éducation et de richesse. Le chapitre 4 aborde les défis spécifiques du marché du travail. Ce chapitre examine la lente transformation structurelle du Maroc et la manière dont celle-ci varie entre les secteurs, les villes, les zones rurales et les différentes régions, en mettant l’accent sur les groupes exclus (NEET, jeunes et femmes). Il dresse le profil de ces groupes (y compris par niveau d’instruction) et examine les principaux défis à relever en vue de créer des emplois de meilleure qualité pour mieux favoriser leur inclusion. Le chapitre 5 définit le calendrier de la prochaine phase des activités de programme. Sur la base des diagnostics et des contraintes identifiées dans les quatre premiers chapitres, le dernier chapitre quant à lui fait ressortir les principales tendances et examine les domaines clés pour l’élaboration des politiques. Il s’appuie sur des

21

exemples internationaux afin de renforcer le travail d’analyse et tente de délimiter les tâches à accomplir lors de la deuxième phase. L’Annexe A comprend les résultats de l’enquête HCP sur l’impact de la pandémie de COVID-19 (coronavirus) sur la situation économique,

sociale et psychologique des ménages, réalisée en avril et juin 2020. Il s’agit de la seule source de données fournissant des informations sur la situation économique des ménages dans le contexte de la pandémie de COVID-19.

NOTES

3. Créer des marchés au Maroc, Diagnostic du secteur privé du pays. Créer des marchés au Maroc, Diagnostic du secteur privé du pays. Société financière internationale, 2019. 4. Mesurée par le taux de dépendance, c’est-àdire le rapport entre la population de moins de 15 ans et de plus de 65 ans et celle du groupe d’âge 15-65 ans. Ce ratio est aujourd’hui à peine supérieur à 50, ce qui indique une moindre charge sur la population active, mais, après 2040, il devrait dépasser 60.

1. Discours royal de SM le roi Mohammed VI, 20 août 2019. 2. D’une manière générale, la thèse de l’industrialisation prématurée repose sur le fait que, en raison de la technologie et du commerce, les pays en développement commencent à perdre du PIB industriel et de l’emploi à un stade de développement moins avancé que celui des premiers pays industrialisés.

22

2

Tendances économiques, démographiques et politiques

CROISSANCE ÉCONOMIQUE ET EMPLOI Depuis le début des années 2000, la population marocaine a connu une amélioration significative de ses conditions de vie. Au cours des 20 dernières années, le revenu par habitant a presque doublé, atteignant 7 514,70 dollars américains en 2019 (en parité de pouvoir d’achat [PPA], dollars internationaux constants de 2017) ; Indicateurs du développement mondial [WDI]). Le taux de pauvreté national est passé de 15,3% à 4,8% de la population entre 2000 et 2014 (HCP 2016a), et la pauvreté extrême a presque été totalement éradiquée. Les résultats en matière de santé et d’éducation se sont considérablement améliorés, l’indice de développement humain (IDH) du pays ayant augmenté d’environ 30% entre 2000 et 2019 (PNUD 2020). L’accès aux infrastructures de base s’est également amélioré, des estimations récentes montrant que tous les ménages ont accès au réseau électrique et que plus de 70% d’entre eux ont accès à l’eau potable (WDI, Banque mondiale 2021). La croissance économique a été relativement vigoureuse depuis 2000, mais elle a perdu de sa dynamique. Entre 2000 et 2019, la croissance du produit intérieur brut (PIB) réel a été en moyenne de 4,2% par an, bien que la croissance ait diminué pendant et après la crise financière. Le taux de croissance annuel moyen du PIB a ralenti, passant de 5,1% entre 2000 et 2009 à 3,4% entre 2010 et 2019 (graphique 2.1). À titre de comparaison, la croissance du Maroc est un peu plus rapide que celle de la Tunisie, dont la croissance du PIB réel entre 2000 et 2019 a été de 3,2% par an, passant de 4,3% avant la crise financière (2000-2009) à 1,8% entre 2010 et 2019. Le ralentissement de la croissance a touché à la fois le secteur primaire et le secteur tertiaire. La décélération de la croissance du PIB avant et après 2009 a été particulièrement prononcée dans le secteur primaire (graphique 2.2). Elle reflète en grande partie un ralentissement de

l’Agriculture (avec la sylviculture), qui constitue environ 95% de la production du secteur primaire. Elle reflète en grande partie un ralentissement de l’Agriculture (avec la sylviculture), qui constitue environ 95% de la production du secteur primaire. La croissance du secteur primaire est également devenue plus volatile entre 2001 et 2018. 1 La croissance annuelle du secteur tertiaire a également diminué au cours des deux périodes (2001-09 et 2010-18), mais de façon moins spectaculaire. La croissance du secteur primaire est également devenue plus volatile entre 2001 et 2018. La croissance de la production n’a augmenté que dans le secteur industriel secondaire, passant de 3,2% par an au cours de la période précédente à 3,4% au cours de la période suivante. Le secteur manufacturier représente près des deux tiers de la production du secteur secondaire, et les taux de croissance annuels moyens de ce secteur sont passés de 2,7% à 3,2% au cours des deux périodes. Le fait que l’économie marocaine n’ait pas généré suffisamment d’emplois pour absorber la population croissante en âge de travailler constitue un problème démographique majeur. Entre 2001 et 2019, la population en âge de travailler a augmenté en moyenne d’environ 374 000 personnes par an, tandis que l’économie a créé en moyenne 112 000 emplois supplémentaires par an, ce qui laisse un déficit annuel moyen de 262 000 emplois. Cet écart s’est aggravé au cours de la période observée, passant de 227 000 entre 2001 et 2009 à 300 000 entre 2010 et 2019 (graphique 2.3). Depuis la crise financière, le taux de chômage se maintient dans une fourchette de 9 à 12%. Le chômage enregistré serait encore plus élevé si le Maroc n’avait pas un taux d’activité relativement faible : en 2019, 54% de la population en âge de travailler était catégorisée comme inactive. Bien que ce pourcentage soit très proche des taux d’inactivité de pays voisins comme la République arabe d’Égypte et la Tunisie, le niveau d’inactivité est beaucoup plus faible dans des pays comparables hors de la région, tels que la Turquie (47% d’adultes inactifs), l’Afrique du Sud (44%) et l’Indonésie (32%). Plusieurs facteurs expliquent l’incapacité du marché du travail à absorber la population en âge de travailler. Le défi de l’emploi comporte deux aspects : le premier porte sur l’insuffisance du nombre d’emplois nécessaires pour faire face à une offre de main-d’œuvre plus importante, tandis que le second concerne la mauvaise qualité des emplois créés. Plusieurs facteurs contribuent à ces défis : une forte croissance démographique, une faible intensité d’emploi de l’activité économique, une lente amélioration de l’efficacité de l’utilisation des facteurs de production et la lenteur des changements structurels. 23

GRAPHIQUE 2.1

Pource

Ralentissement de la croissance économique au Maroc au cours des 20 dernières années

Taux de croissance annuel du PIB Source : Fonds monétaire international, https://www.imf.org/en/Countries/MAR. Remarque : L’année 2019 est préliminaire.

GRAPHIQUE 2.2

Croissance de la production (%)

Fort ralentissement de la croissance agricole

9,0

5,1 3,4

Secteur primaire (Agriculture)

3,2

3,4

Secteur secondaire (industrie)

Source : HCP (Haut Commissariat au Plan), https://www.hcp.ma/.

24

3,3

Secteur tertiaire (services)

Taux de croissance annuel moyen du PIB

GRAPHIQUE 2.3 Le déficit d’emplois demeure élevé

500,000

Nombre d’emplois

400,000 300,000 200,000 100,000 0 -100,000 -200,000 2001

2002 2003 2004

Augmentation de la population

2005

2006 2007

2008 2009 2010

2011

2012

2013 2014

active Augmentation de la population en âge de travailler

2015

2016 2017

Écart

2018

2019

Écart moyen

Source : Estimations basées sur l’Enquête Nationale sur l’Emploi (ENE).

Croissance de la population active et démographie La structure démographique se concentre sur les âges actifs. La forte augmentation de la population en âge de travailler, comme le montre le graphique 2.4, reflète l’étape de la transition démographique du Maroc entre 2000 et 2019. En outre, l’indice synthétique de fécondité a fortement diminué, passant de 7 enfants par femme en 1960 à environ 2,2 en 2014 (HCP 2016a). En conséquence, on assiste à la fois à un ralentissement de la croissance de la population globale et à une modification de la structure de la population, qui se traduit par une plus grande concentration dans les tranches d’âge actives.

L’augmentation significative de la population en âge de travailler a engendré des tensions sur le marché du travail, tout en offrant également des opportunités économiques. Les populations regroupées dans la tranche d’âge des travailleurs ont le potentiel nécessaire pour stimuler la croissance économique, grâce à une « fenêtre démographique » (également appelée « fenêtre d’opportunité ») - définie par un faible taux de dépendance (part de la population totale des moins de 15 ans ou des plus de 65 ans par rapport à la population en âge de travailler). Le Maroc a bénéficié de cette opportunité au début des années 2000 et cette tendance se poursuivra au cours des deux prochaines décennies (graphique 2.5). Mais pour cela, les emplois doivent être suffisamment nombreux pour absorber la population croissante des jeunes.

25

GRAPHIQUE 2.4 Population, par groupes d’âge, 2000 et 2019 a. 2000 Femme

Homme

80+ 75−79 70−74 65−69 60−64 55−59 50−54 45−49 40−44 35−39 30−34 25−29 20−24 15−19 10−14 5−9

Data Loading...